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2015-09-14

Petit WHO'S WHO de la Navigation Polynésienne



PETIT WHO'S WHO DE LA NAVIGATION POLYNÉSIENNE

À droite de l'image : Le navigateur Hawaiien Bruce Blankenfeld, une "figure de proue" de la renaissance de la navigation polynésienne (ici, guidant la pirogue Hokule'a)

A l'origine...


Avant de parler de Who's Who de la renaissance de la navigation ancestrale Polynésienne, il faut évidemment rendre hommage à ces Maître-Navigateurs d'il y quelques siècles, juqu'à quelques millénaires...

Evidemment, nous ne les connaissons pas, ou si peu, si ce n'est à travers quelques mythes, légendes et traditions orales, se perdant dans la nuit des temps...

Au commencement, il y a le « demi-dieu » Maui Marumanoa, le « pêcheur d'îles » : Maître-Navigateur, évidemment, qui sorti de l'eau une à une chaque île du Pacifique...

Puis on peut citer Kupe, le grand Maître-Navigateur qui découvrit Aotearoa, « l'ïle du Long Nuage Blanc », la Nouvelle Zélande, ou bien encore les tahitiens Ka'ukura et Iro Nui, le « Grand » Navigateur.
Des personnages mi-(pré)historiques, mi-mythologique qui, même s'ils ont une place bien réelle dans les généalogies tentaculaires des Polynésiens, sont des icônes archetypales, certainement compilations de plusieurs personnages réels, dont les exploits de navigation, mais aussi de conquêtes et combats, sont encore racontés et chantés près des Marae...

De chair et d'os (assuremment, cette fois-ci), on citera Tupaia, grand Maître-Navigateur et prince consort de la reine Purea, qui fût choisi par l'expédition du Capitaine Cook en 1769 pour la mener au travers du Pacifique. Tupaia étonna toujours le célèbre Cook par sa capacité infallible à trouver n'importe quelle terre émergée au milieu de l'océan vide sans aucun instrument, mais aussi par sa hauteur d'esprit et sa sagesse. Il mourru du paludisme lorsque l'expédition atteint Jakarta (Battavia).





« Gentlemen aventuriers, yachtmen, scientifiques, sportifs, Gardiens de Traditions Polynésiennes, Maîtres Navigateurs du Pacifique ou tout simplement passionnés :
les « Wayfinders » ont tous œuvré pour faire revivre ces traditions
ancestrales de Navigation. »


Ainsi, depuis les années 30-40, puis plus précisément depuis les années 70 jusqu'à nos jours, gentlemen aventuriers, yachtmen, scientifiques, sportifs, gardiens des traditions du Pacifique, authentiques Maîtres Navigateurs issues de lignées ancestrales, ou tout simplement passionnés : des hommes et des femmes se sont tous succédés, ou ont collaborés pour faire revivre ces traditions de navigation.
Nous avons choisis de vous en présenter quelques uns... Il y en a bien d'autres encore :


Eric de Bischopp (1891-1958) : issu d'une famille aisée, Eric de Bischopp s'enrôle comme mousse sur le trois-mâts Dunkerque, puis devient tour à tour capitaine de marine marchande, pilote d'avion et négociant en bois précieux.
Au début des années 30, il s'installe en Asie et commence à construire avec quelques associés deux jonques, Fou Po I et II, avec laquelle il ira explorer le Pacifique ouest, et notamment la Nouvelle Guinée. Suite à diverses pérégrination dont une incarcération pour suspicion d'espionnage, il s'installe à Hawaii, ou après quelques recherches difficiles sur le passé maritime de la Polynésie, il construit un pirogue d'inspiration polynésienne double coque, le Kaimiloa.
Après un périple d'un an d'une circumnavigation quasiment sans instrument, parsemée d'avarie, de tempête et d'aventures diverses, il rejoint enfin Cannes en mai 1938 , où son arrivée fait sensation.
Il repart à Hawaii où il devient agent consulaire et prépare sa prochaine expédition : rallier l'Amérique du sud à bord d'une embarcation tenant à la fois de la pirogue polynésienne et du radeau, le Tahiti Nui.
Le pari sera presque remporté en 1956, mais lui et ses équipiers, le polynésien Francis Cowan, Alain et Michel Brun, et le Chilien Juan Bugaño, doivent se faire remorquer sur la toute dernière partie de la navigation.
Qu'à cela ne tienne : de Bischopp se remet au travail et construira le Tahiti Nui II au Chili, d'où il part en 1958. Après avoir subit une perte de flottabilité importante qui l'empêche d'accoster aux Marquises, le « quasi-radeau » Tahiti Nui II est démembré en route par l'équipage qui construit en pleine mer un radeau de fortune avec ses restes : le Tahiti Nui III. Celui-ci s'échoue durement à Rakahanga dans les îles Cook, et de Bischopp trouve la mort dans le chavirage du radeau.
Il repose désormais dans un petit cimetière des îles Australes.
Il était le grand-père de l'archéologue et plongeur Frank Goddiot, découvreur du Phare d'Alexandrie.


Francis Puara Cowan (1926-2009) : mi-polynésien, mi-écossais, empreint des savoirs ancestraux de navigation traditionnelle, Francis Cowan fût commandant en second d'Eric de Bischopp lors de son expédition « Tahiti Nui I », puis, après presque 30 ans de recherches assidues sur les techniques de navigation de ses ancêtres, il construit Hawai'iki Nui, une pirogue double expérimentale, entièrement faîte de matériaux traditionnels, avec laquelle il rejoint en 1985 la Nouvelle Zélande en 71 jours.

James Wharram : architecte naval et aventurier anglais, James a dessiné son premier catamaran d'inspiration polynésienne, le Tangaroa, alors que le mot même de « catamaran » était encore inconnu des marins. Depuis les années 50, James vit, dessine, navigue et respire au rythme de son insatiable intérêt pour les bateaux d'inspiration océanienne. Depuis de nombreuses années, il fait équipe avec Hanneke Boon. Ensemble, ils ont dessiné de nombreux multicoques, simples, peu onéreux, destinés à « démocratiser » le « raid » à voile, permettant à des générations de « tourdumondiste » de se révéler.
A plus de 80 ans, la parole de James est toujours très écoutée dans les rassemblements traitant de l'Art de la Navigation Polynésienne. Il a récemment bouclé avec l'aventurier allemand Klaus Hympendhal, une expédition vers les îles Anuta et Tikopia à bord de deux catamarans traditionnels polynésiens.

Mau Piailug (1932-2010) : Mau fût LE Maître Navigateur par excellence... L'homme qui mena en 1976 – et pour la première fois depuis des siècles – l'Hokule'a, la mythique pirogue à voile, de Hawaii à Tahiti, sans l'aide d'aucune carte ni instrument.
Mau était originaire des îles Carolines, en Micronésie, où il était Maître navigateur, issu d'une longue lignée traditionnelle, lorsqu'il fût contacté par une équipe de scientifiques et de gardiens de la tradition Hawaïenne pour mener à bien cette expédition.
Le succès total de cette tentative fît de Mau une sorte d'icône vivante du Pacifique, un exemple et un mentor pour toutes les générations à venir.
C'est lui qui forma Nainoa Thompson, l'actuel et charismatique Maître Navigateur de la Polynesian Voyaging Society d'Hawaii.
Le fils de Mau, Sesario Sewralur, Maître Navigateur formé par son père, sera Maître Navigateur de la première partie de notre expédition, ce qui représente un grand honneur pour MOANA NUI, notre projet.


Eddie Aikau (1946-1978) : Eddie, Hawaiien pur souche, « Lifeguard » dans la vie et champion de surf de classe internationale dans les années 70 se mît en quête du savoir ancestral de la navigation polynésienne.
En 1978, malgré le succès de 1976, des querelles intestines rongent la Polynesian Voyaging Society.
Malgré une très mauvaise préparation due à l'ambiance délictueuse, l'Hokule'a quitte O'ahu pour une nouvelle traversée, mais suite à une mauvaise manœuvre, l'énorme pirogue double chavire.
Eddie est à bord. Sans moyen de communication, l'équipage ne peut être secouru. Eddie décide donc de rejoindre la côte sur sa planche de surf pour prévenir les garde-côtes : on ne le retrouvera jamais...
Celui qui aurait pu devenir un pilier de la Polynesian Voyaging Society, plein de l'énergie de sa jeunesse disparaît, entrant ainsi dans la légende de la Navigation Polynésienne.


James Siers (1936-2013) : D'origine polonaise, Rescapé des camps de travail soviétiques, James Siers et sa famille émigrent en Nouvelle Zélande en 1944.
Rapidement intéressé par le Pacifique et ses mystères, Siers devient photographe, puis, tenaillé par l'obssession de contredire la théorie de Thor Eyerdhal et son Kon Tiki, il décide de reconstruire un « Baurua », un grand prao volant à balancier des îles Gilbert, et d'entreprendre une traversée depuis Kiribait jusqu'aux Fidji.
Cependant, après 6 semaines de mer, le Taratai, baurua de 23 mètres, perd son flotteur... S'ensuit une aventure à la fois épique et dramatique de survie en plein océan, qui se terminera heureusement par un sauvetage in ex tremis. Son fils Conrad, qui n'avait alors que 10 ans, faisait parti de ces naufragés du Pacifique... Conrad, qui tient à présent un « fishing lodge » aux Fidji, se souvient pourtant avec fiérté de son père et de son incroyable soif d'aventure.

Nainoa Thompson : Natif d'Honolulu, Nainoa Thompson fût diplômé en Science Océanographique. Encore jeune lors de la première traversée historique de l'Hokule'a de Tahiti à Hawaii, il participa au voyage retour, suite auquel il commença à s'impliquer de plus en plus dans les activités de la Polynesian Voyaging Society.
Repéré comme le plus doué de la nouvelle génération de « Wayfinders », ils fût entièrement entraîné et formé par Mau Piailug qui devint son mentor.
Au tout début des années 80, Nainoa devint rapidement le personnage-clé de la PVS, et le plus doué des Maître-Navigateurs Polynésiens.
Depuis, il a été à l'origine de grands rassemblements de pirogues traditionnelles et d'exploits maritimes, toujours reliés aux savoirs ancestraux de Navigation, comme le tour du Pacifique en 1992 de pirogues de voyages venues des îles Cook, de Tahiti, de Nouvelle-Zélande et d'Hawaii, ou bien du voyage de l'Hokule'a jusqu'à Rapa Nui, l'île de Pâques, en 1999-2000.
D'un naturel calme et discret, Nainoa a su actualiser les savoirs de Navigation traditionnelle, en les incluant à des programmes universitaires Hawaiien – en apprentissage comme en recherche – et à les valoriser dans le cadre d'initiatives environnementales, notamment dans le cadre de son ONG Malama Hawaii (protégeons Hawaii).



Sir Thomas Davis « Pa Tu Terangi Ariki » (1917-2007) : Médecin de formation, descendant par sa mère d'une longue lignée de Chef Polynésiens, Sir Tom se spécialisera dans la médecine sociale puis la médecine spatiale, en collaborant avec la NASA. Il essaiera toujours d'introduire dans son travail des valeurs et savoirs venant de son fort héritage polynésien, et regroupé dans son autobiographie, « Island Boy ». Dans les années 70 et 80, il devient Premier Ministre des Iles Cook, sous l'autorité de la Reine Elisabeth II d'Angleterre, puis se servant de son statut, commence à se lancer dans la renaissance de la Navigation Traditionnelle Polynésienne, dessinant et lançant deux grandes pirogues de voyage, le Te Au o Tonga, un Te Pa'erua Tahitien, et le Takitumu, un N'drua des îles Fidji.
Ces deux pirogues participeront entre autre au tour du Pacifique organisé par Nainoa Thompson et la PVS d'Hawaii en 1992.


Tua Pitman : Originaire des îles Cook, Tua est manager de la compagnie aérienne Air Rarotonga. Traumatisé par la disparition de son père en mer alors qu'il était encore enfant, Tua était devenu aquaphobe... Mais le vent de renaissance du « Wayfinding » Polynésien finit par le rattraper : il est choisi par Sir Tom Davis pour mener la pirogue Te Au O Tonga lors du rassemblement de 1992. Après une formation à marche forcée aux techniques de navigation non-instrumentale par Nainoa Thompson, et bravant sa peur de l'élément marin, il devient le capitaine et Navigateur du Te Au O Tonga, notamment sur l'étape Marquises-Hawaii.

Bruce Blankenfeld : Contremaitre aux docks de Honolulu, Bruce a passé toute son enfance à pêcher avec son père. Captivé comme beaucoup par la renaissance du « Wayfinding » dans les années 70-80, il commence à devenir volontaire pour les réparations lors des périodes de cale-sèche de l'Hokule'a, puis il fini par faire valoir ses connaissances en matière de pêche en haute mer, accumulées au cour de sa jeune vie.
Nainoa l'engage comme chef-pêcheur de l'Hokule'a (les navigations traditionnelles polynésiennes se font toujours en autonomie de nourriture). Petit à petit, par sa volonté d'apprendre, il deviendra d'abord « Watch Captain » de l'Hokule'a, puis de l'Hawai'iloa, puis – formé par Nainoa Thomspon – deviendra à son tour « Maître Navigateur ».
Figure incontournable du « Wayfinding », Bruce est un des très rare à avoir été aussi – comme Nainoa – consacré « Pwo », c'est-à-dire Maître Navigateur selon les codes et les traditions Micronésiennes, à Satawal en 2008.

Chad Baybayan : mi-polynésien, mi-philippin, Chad a commencé tout comme Bruce, par des tâches subalternes au sein de la Polynesian Voyaging Society, avant de gravir les échelons les uns après les autres : watch captain, captain, puis finalement Navigateur.
Chad est un des relais les plus importants de la diffusion du Wayfinding pour les générations futures : naturellement doué pour l'enseignement, il est le mentor naturel de nombreux jeunes Hawaiiens tentant l'aventure de la Navigation Polynésienne.

Tava Taupu et Abraham « Snake » Ah Ee : encore deux personnalités incontournables de ce revival... « Snake », le vétéran du Vietnam, alors qu'il rentrait de mission de « l'enfer vert » vît un jour au large d'Hawaii les immenses voiles en pince de crabe de l'Hokule'a... Et cette vision transforma sa vie.
Depuis « Snake » Ah Ee passe le plus clair de son temps sur l'eau, à bord de l'Hokule'a. Équipier de qualité, alliant fiabilité et connaissance approfondie de la pêche en haute mer, Snake est aussi un mentor irremplaçable, tout comme Tava Taupu, le Marquisien tatoué, ancien champion de boxe de Polynésie, qui a troqué ses gants et sa rage contre un sourire radieux, toujours tourné vers l'horizon.
Tava, c'est vraiment le « Père », ou le grand frère, celui qui protège les autres de tous les dangers à bord, ou ailleurs, comme ce jour où il sauva Nainoa, tombé en profonde hypothermie après avoir voulu récupérer en pleine mer et à la nage une caisse de matériel précieux tombé par dessus bord.

Kaiulani Murphy : alors que les femmes navigatrices n'étaient pas si rares dans le Pacifique ancien (voir même des pirogues entières occupées et menées exclusivement par des femmes, encore observées au 19ème siècle), l'univers des Wayfinders peut paraître un peu trop masculin...
Mais c'est méconnaître l'esprit Polynésien, et aussi l'engouement pour le Wayfinding qui séduit aussi bien les hommes que les femmes, à l'instar de Kaiulani Murphy, jeune Hawaiienne diplomé d'études Hawaiienne de l'université de Maona, qui se prit très jeune de passion pour cet art ancestral en train de renaître.
Toujours à force de courage et d'implication, et après de nombreuses navigations dans le Pacifique à bord de l'Hokule'a, jusqu'en Micronésie et aussi jusqu'à Rapa Nui, l'île de Pâques, Kaiulani est devenue la seule femme à avoir regagné le titre de « Maître Navigateur », formée, puis « adoubée » par Nainoa Thompson lui-même.
Qui sera la prochaine ?

Tulano Toloa : Originaire des îles Tokelau (Nord des Samoa), Tulano – à l'instar de Kailanu Murphy d'Hawaii - est un jeune Maître Navigateur, représentant la nouvelle génération de Wayfinders. Il s'est fait connaître en guidant la dernière traversée de James Wharram jusqu'aux îles Anuta et Tikopia (Archipel des Santa Cruz, à l'Est des îles Salomon, et à l'Ouest des Samoa), sans aucune carte ni instrument. Vivant actuellement en Nouvelle Zélande, Tulano est non seulement un gardien des savoirs anciens de navigation, mais aussi des techniques de pêches et de valorisation écologique des milieux insulaires fragiles : comme de nombreux amoureux de la navigation polynésienne, il a compris le potentiel indéniable de ces savoirs ancestraux dans le cadre des défis environnementaux du 21ème siècle.
Tulano sera un des principaux Maître navigateur et coordinateur de notre expédition MOANA NUI.


Et bien d'autres encore : Greg Matahi Brightwell (pirogue Hawaiiki Nui), Hector Busby (pirogue Te Aurere, Nouvelle Zélande), Ben Finney (fondateur de la Polynesian Voyaging Society), David Lewis (concurrent de Tabarly dans la transat 1964, à bord de son catamaran Rehu Moana, puis chercheurs assidu des méthodes de Navigation polynésiennes), Karim Cowan (de Polynésie française, neveu de Francis Cowan et constructeur de la pirogue Ha'a Kekai Nui), Te Aturangi Nepia Clamp, sculpteur de pirogue Néozélandais et équipier fidèle du Te Au O Tonga, Hoturoa Kerr, équipier des « 7 Vakas » et impliqué dans la transmission de ces savoirs à la jeune génération Maorie, etc, etc...


Christophe Mercier - 16.09.2015