PETIT
WHO'S WHO DE LA NAVIGATION POLYNÉSIENNE
À droite de l'image : Le navigateur Hawaiien Bruce Blankenfeld, une "figure de proue" de la renaissance de la navigation polynésienne (ici, guidant la pirogue Hokule'a)
A
l'origine...
Avant
de parler de Who's Who de la renaissance de la navigation
ancestrale Polynésienne, il faut évidemment rendre hommage à ces
Maître-Navigateurs d'il y quelques siècles, juqu'à quelques
millénaires...
Evidemment,
nous ne les connaissons pas, ou si peu, si ce n'est à travers
quelques mythes, légendes et traditions orales, se perdant dans la
nuit des temps...
Au
commencement, il y a le « demi-dieu » Maui Marumanoa,
le « pêcheur d'îles » : Maître-Navigateur, évidemment,
qui sorti de l'eau une à une chaque île du Pacifique...
Puis
on peut citer Kupe, le grand Maître-Navigateur qui découvrit
Aotearoa, « l'ïle du Long Nuage Blanc », la Nouvelle
Zélande, ou bien encore les tahitiens Ka'ukura et Iro Nui,
le « Grand » Navigateur.
Des
personnages mi-(pré)historiques, mi-mythologique qui, même s'ils
ont une place bien réelle dans les généalogies tentaculaires des
Polynésiens, sont des icônes archetypales, certainement
compilations de plusieurs personnages réels, dont les exploits de
navigation, mais aussi de conquêtes et combats, sont encore racontés
et chantés près des Marae...
De
chair et d'os (assuremment, cette fois-ci), on citera Tupaia,
grand Maître-Navigateur et prince consort de la reine Purea, qui fût
choisi par l'expédition du Capitaine Cook en 1769 pour la mener au
travers du Pacifique. Tupaia étonna toujours le célèbre Cook par
sa capacité infallible à trouver n'importe quelle terre émergée
au milieu de l'océan vide sans aucun instrument, mais aussi par sa
hauteur d'esprit et sa sagesse. Il mourru du paludisme lorsque
l'expédition atteint Jakarta (Battavia).
« Gentlemen
aventuriers, yachtmen, scientifiques, sportifs, Gardiens de
Traditions Polynésiennes, Maîtres Navigateurs du Pacifique ou tout
simplement passionnés :
les
« Wayfinders » ont tous œuvré pour faire revivre ces
traditions
ancestrales
de Navigation. »
Ainsi,
depuis les années 30-40, puis plus précisément depuis les années
70 jusqu'à nos jours, gentlemen aventuriers, yachtmen,
scientifiques, sportifs, gardiens des traditions du Pacifique,
authentiques Maîtres Navigateurs issues de lignées ancestrales, ou
tout simplement passionnés : des hommes et des femmes se sont tous
succédés, ou ont collaborés pour faire revivre ces traditions de
navigation.
Nous
avons choisis de vous en présenter quelques uns... Il y en a bien
d'autres encore :
Eric de Bischopp (1891-1958) : issu d'une famille aisée, Eric de Bischopp s'enrôle comme mousse sur le trois-mâts Dunkerque, puis devient tour à tour capitaine de marine marchande, pilote d'avion et négociant en bois précieux.
Au
début des années 30, il s'installe en Asie et commence à
construire avec quelques associés deux jonques, Fou Po I et
II, avec laquelle il ira explorer le Pacifique ouest, et notamment la
Nouvelle Guinée. Suite à diverses pérégrination dont une
incarcération pour suspicion d'espionnage, il s'installe à Hawaii,
ou après quelques recherches difficiles sur le passé maritime de la
Polynésie, il construit un pirogue d'inspiration polynésienne
double coque, le Kaimiloa.
Après
un périple d'un an d'une circumnavigation quasiment sans instrument,
parsemée d'avarie, de tempête et d'aventures diverses, il rejoint
enfin Cannes en mai 1938 , où son arrivée fait sensation.
Il
repart à Hawaii où il devient agent consulaire et prépare sa
prochaine expédition : rallier l'Amérique du sud à bord d'une
embarcation tenant à la fois de la pirogue polynésienne et du
radeau, le Tahiti Nui.
Le
pari sera presque remporté en 1956, mais lui et ses équipiers, le
polynésien Francis
Cowan,
Alain
et Michel Brun, et le Chilien Juan Bugaño, doivent se faire
remorquer sur la toute dernière partie de la navigation.
Qu'à
cela ne tienne : de Bischopp se remet au travail et construira le
Tahiti Nui II au Chili, d'où il part en 1958. Après avoir
subit une perte de flottabilité importante qui l'empêche d'accoster
aux Marquises, le « quasi-radeau » Tahiti Nui II
est démembré en route par l'équipage qui construit en pleine mer
un radeau de fortune avec ses restes : le Tahiti Nui III.
Celui-ci s'échoue durement à Rakahanga dans les îles Cook, et de
Bischopp trouve la mort dans le chavirage du radeau.
Il
repose désormais dans un petit cimetière des îles Australes.
Il
était le grand-père de l'archéologue et plongeur Frank Goddiot,
découvreur du Phare d'Alexandrie.
Francis
Puara Cowan (1926-2009) : mi-polynésien,
mi-écossais, empreint des savoirs ancestraux de navigation
traditionnelle, Francis Cowan fût commandant en second d'Eric de
Bischopp lors de son expédition « Tahiti Nui I »,
puis, après presque 30 ans de recherches assidues sur les techniques
de navigation de ses ancêtres, il construit Hawai'iki Nui,
une pirogue double expérimentale, entièrement faîte de matériaux
traditionnels, avec laquelle il rejoint en 1985 la Nouvelle Zélande
en 71 jours.
James
Wharram : architecte naval et
aventurier anglais, James a dessiné son premier catamaran
d'inspiration polynésienne, le Tangaroa,
alors que le mot même de « catamaran » était encore
inconnu des marins. Depuis les années 50, James vit, dessine,
navigue et respire au rythme de son insatiable intérêt pour les
bateaux d'inspiration océanienne. Depuis de nombreuses années, il
fait équipe avec Hanneke Boon.
Ensemble, ils ont dessiné de nombreux multicoques, simples, peu
onéreux, destinés à « démocratiser » le « raid »
à voile, permettant à des générations de « tourdumondiste »
de se révéler.
A
plus de 80 ans, la parole de James est toujours très écoutée dans
les rassemblements traitant de l'Art de la Navigation Polynésienne.
Il a récemment bouclé avec l'aventurier allemand Klaus
Hympendhal, une expédition vers les îles Anuta et Tikopia à
bord de deux catamarans traditionnels polynésiens.
Mau
Piailug (1932-2010) : Mau fût LE Maître Navigateur
par excellence... L'homme qui mena en 1976 – et pour la première
fois depuis des siècles – l'Hokule'a, la
mythique pirogue à voile, de Hawaii à Tahiti, sans l'aide d'aucune
carte ni instrument.
Mau
était originaire des îles Carolines, en Micronésie, où il était
Maître navigateur, issu d'une longue lignée traditionnelle,
lorsqu'il fût contacté par une équipe de scientifiques et de
gardiens de la tradition Hawaïenne pour mener à bien cette
expédition.
Le
succès total de cette tentative fît de Mau une sorte d'icône
vivante du Pacifique, un exemple et un mentor pour toutes les
générations à venir.
C'est
lui qui forma Nainoa Thompson, l'actuel et charismatique
Maître Navigateur de la Polynesian Voyaging Society d'Hawaii.
Le
fils de Mau, Sesario Sewralur, Maître Navigateur formé
par son père, sera Maître Navigateur de la première partie de
notre expédition, ce qui représente un grand honneur pour MOANA
NUI, notre projet.
Eddie
Aikau (1946-1978) : Eddie, Hawaiien pur souche, « Lifeguard »
dans la vie et champion de surf de classe internationale dans les
années 70 se mît en quête du savoir ancestral de la navigation
polynésienne.
En
1978, malgré le succès de 1976, des querelles intestines rongent la
Polynesian Voyaging Society.
Malgré
une très mauvaise préparation due à l'ambiance délictueuse,
l'Hokule'a quitte O'ahu pour une nouvelle traversée, mais
suite à une mauvaise manœuvre, l'énorme pirogue double chavire.
Eddie
est à bord. Sans moyen de communication, l'équipage ne peut être
secouru. Eddie décide donc de rejoindre la côte sur sa planche de
surf pour prévenir les garde-côtes : on ne le retrouvera jamais...
Celui
qui aurait pu devenir un pilier de la Polynesian Voyaging Society,
plein de l'énergie de sa jeunesse disparaît, entrant ainsi dans la
légende de la Navigation Polynésienne.
James
Siers (1936-2013) : D'origine
polonaise, Rescapé
des camps de travail soviétiques, James Siers et sa famille émigrent
en Nouvelle Zélande en 1944.
Rapidement
intéressé par le Pacifique et ses mystères, Siers devient
photographe, puis, tenaillé par l'obssession de contredire
la théorie de Thor Eyerdhal et son Kon Tiki,
il décide de reconstruire un « Baurua »,
un grand prao volant à balancier des îles Gilbert, et
d'entreprendre une traversée depuis Kiribait jusqu'aux Fidji.
Cependant,
après 6 semaines de mer, le Taratai,
baurua
de 23 mètres, perd son flotteur... S'ensuit une aventure à la fois
épique et dramatique de survie en plein océan, qui se terminera
heureusement par un sauvetage in
ex tremis. Son fils
Conrad, qui n'avait alors que 10 ans, faisait parti de ces naufragés
du Pacifique... Conrad, qui tient à présent un « fishing
lodge » aux Fidji, se souvient pourtant avec fiérté de son
père et de son incroyable soif d'aventure.
Nainoa
Thompson : Natif d'Honolulu, Nainoa Thompson fût diplômé en
Science Océanographique. Encore jeune lors de la première traversée
historique de l'Hokule'a de Tahiti à Hawaii, il participa au
voyage retour, suite auquel il commença à s'impliquer de plus en
plus dans les activités de la Polynesian Voyaging Society.
Repéré
comme le plus doué de la nouvelle génération de « Wayfinders »,
ils fût entièrement entraîné et formé par Mau Piailug qui
devint son mentor.
Au
tout début des années 80, Nainoa devint rapidement le
personnage-clé de la PVS, et le plus doué des Maître-Navigateurs
Polynésiens.
Depuis,
il a été à l'origine de grands rassemblements de pirogues
traditionnelles et d'exploits maritimes, toujours reliés aux savoirs
ancestraux de Navigation, comme le tour du Pacifique en 1992 de
pirogues de voyages venues des îles Cook, de Tahiti, de
Nouvelle-Zélande et d'Hawaii, ou bien du voyage de l'Hokule'a
jusqu'à Rapa Nui, l'île de Pâques, en 1999-2000.
D'un
naturel calme et discret, Nainoa a su actualiser les savoirs de
Navigation traditionnelle, en les incluant à des programmes
universitaires Hawaiien – en apprentissage comme en recherche –
et à les valoriser dans le cadre d'initiatives environnementales,
notamment dans le cadre de son ONG Malama Hawaii
(protégeons Hawaii).
Sir
Thomas Davis « Pa Tu Terangi Ariki »
(1917-2007) : Médecin de formation, descendant par sa mère
d'une longue lignée de Chef Polynésiens, Sir Tom se
spécialisera dans la médecine sociale puis la médecine spatiale,
en collaborant avec la NASA. Il essaiera toujours d'introduire
dans son travail des valeurs et savoirs venant de son fort héritage
polynésien, et regroupé dans son autobiographie, « Island
Boy ». Dans les années 70 et 80, il devient Premier
Ministre des Iles Cook, sous l'autorité de la Reine Elisabeth
II d'Angleterre, puis se servant de son statut, commence à se
lancer dans la renaissance de la Navigation Traditionnelle
Polynésienne, dessinant et lançant deux grandes pirogues de voyage,
le Te Au o Tonga, un Te Pa'erua Tahitien, et le
Takitumu, un N'drua des îles Fidji.
Ces
deux pirogues participeront entre autre au tour du Pacifique
organisé par Nainoa Thompson et la PVS d'Hawaii en 1992.
Tua
Pitman : Originaire des îles Cook, Tua est manager de la
compagnie aérienne Air Rarotonga. Traumatisé par la disparition de
son père en mer alors qu'il était encore enfant, Tua était devenu
aquaphobe... Mais le vent de renaissance du « Wayfinding »
Polynésien finit par le rattraper : il est choisi par Sir Tom
Davis pour mener la pirogue Te Au O Tonga lors du
rassemblement de 1992. Après une formation à marche forcée aux
techniques de navigation non-instrumentale par Nainoa Thompson,
et bravant sa peur de l'élément marin, il devient le capitaine et
Navigateur du Te Au O Tonga, notamment sur l'étape
Marquises-Hawaii.
Bruce
Blankenfeld : Contremaitre aux docks de Honolulu, Bruce a passé
toute son enfance à pêcher avec son père. Captivé comme beaucoup
par la renaissance du « Wayfinding » dans les années
70-80, il commence à devenir volontaire pour les réparations lors
des périodes de cale-sèche de l'Hokule'a, puis il fini par faire
valoir ses connaissances en matière de pêche en haute mer,
accumulées au cour de sa jeune vie.
Nainoa
l'engage comme chef-pêcheur de l'Hokule'a (les navigations
traditionnelles polynésiennes se font toujours en autonomie de
nourriture). Petit à petit, par sa volonté d'apprendre, il
deviendra d'abord « Watch Captain » de l'Hokule'a,
puis de l'Hawai'iloa, puis – formé par Nainoa Thomspon –
deviendra à son tour « Maître Navigateur ».
Figure
incontournable du « Wayfinding », Bruce est un des
très rare à avoir été aussi – comme Nainoa – consacré
« Pwo », c'est-à-dire Maître Navigateur selon les codes
et les traditions Micronésiennes, à Satawal en 2008.
Chad
Baybayan : mi-polynésien, mi-philippin, Chad a commencé tout
comme Bruce, par des tâches subalternes au sein de la Polynesian
Voyaging Society, avant de gravir les échelons les uns après
les autres : watch captain, captain, puis finalement Navigateur.
Chad
est un des relais les plus importants de la diffusion du Wayfinding
pour les générations futures : naturellement doué pour
l'enseignement, il est le mentor naturel de nombreux jeunes Hawaiiens
tentant l'aventure de la Navigation Polynésienne.
Tava
Taupu et Abraham « Snake » Ah Ee : encore deux
personnalités incontournables de ce revival... « Snake »,
le vétéran du Vietnam, alors qu'il rentrait de mission de « l'enfer
vert » vît un jour au large d'Hawaii les immenses voiles en
pince de crabe de l'Hokule'a... Et cette vision transforma sa
vie.
Depuis
« Snake » Ah Ee passe le plus clair de son temps
sur l'eau, à bord de l'Hokule'a. Équipier de qualité,
alliant fiabilité et connaissance approfondie de la pêche en haute
mer, Snake est aussi un mentor irremplaçable, tout comme Tava
Taupu, le Marquisien tatoué, ancien champion de boxe de
Polynésie, qui a troqué ses gants et sa rage contre un sourire
radieux, toujours tourné vers l'horizon.
Tava,
c'est vraiment le « Père », ou le grand frère, celui
qui protège les autres de tous les dangers à bord, ou ailleurs,
comme ce jour où il sauva Nainoa, tombé en profonde hypothermie
après avoir voulu récupérer en pleine mer et à la nage une caisse
de matériel précieux tombé par dessus bord.
Kaiulani
Murphy : alors que les femmes navigatrices n'étaient pas si
rares dans le Pacifique ancien (voir même des pirogues entières
occupées et menées exclusivement par des femmes, encore observées
au 19ème siècle), l'univers des Wayfinders peut paraître un
peu trop masculin...
Mais
c'est méconnaître l'esprit Polynésien, et aussi l'engouement pour
le Wayfinding qui séduit aussi bien les hommes que les
femmes, à l'instar de Kaiulani Murphy, jeune Hawaiienne diplomé
d'études Hawaiienne de l'université de Maona, qui se prit très
jeune de passion pour cet art ancestral en train de renaître.
Toujours
à force de courage et d'implication, et après de nombreuses
navigations dans le Pacifique à bord de l'Hokule'a, jusqu'en
Micronésie et aussi jusqu'à Rapa Nui, l'île de Pâques, Kaiulani
est devenue la seule femme à avoir regagné le titre de « Maître
Navigateur », formée, puis « adoubée » par
Nainoa Thompson lui-même.
Qui
sera la prochaine ?
Tulano
Toloa : Originaire des îles Tokelau (Nord des Samoa), Tulano –
à l'instar de Kailanu Murphy d'Hawaii - est un jeune
Maître Navigateur, représentant la nouvelle génération de
Wayfinders. Il s'est fait connaître en guidant
la dernière traversée de James Wharram jusqu'aux îles Anuta et
Tikopia (Archipel des Santa Cruz, à l'Est des îles Salomon, et
à l'Ouest des Samoa), sans aucune carte ni instrument. Vivant
actuellement en Nouvelle Zélande, Tulano est non seulement un
gardien des savoirs anciens de navigation, mais aussi des techniques
de pêches et de valorisation écologique des milieux insulaires
fragiles : comme de nombreux amoureux de la navigation
polynésienne, il a compris le potentiel indéniable de ces savoirs
ancestraux dans le cadre des défis environnementaux du 21ème
siècle.
Tulano
sera un des principaux Maître navigateur et coordinateur de notre
expédition MOANA NUI.
Et
bien d'autres encore : Greg Matahi Brightwell (pirogue
Hawaiiki Nui), Hector Busby (pirogue Te Aurere,
Nouvelle Zélande), Ben Finney (fondateur de la Polynesian
Voyaging Society), David Lewis (concurrent de Tabarly dans la
transat 1964, à bord de son catamaran Rehu Moana, puis chercheurs
assidu des méthodes de Navigation polynésiennes), Karim Cowan
(de Polynésie française, neveu de Francis Cowan et constructeur de
la pirogue Ha'a Kekai Nui), Te Aturangi Nepia Clamp,
sculpteur de pirogue Néozélandais et équipier fidèle du Te Au
O Tonga, Hoturoa Kerr, équipier des « 7 Vakas »
et impliqué dans la transmission de ces savoirs à la jeune
génération Maorie, etc, etc...
Christophe Mercier - 16.09.2015